La Brebis Galeuse, d’Ascanio Celestini

« La Brebis galeuse » est le quatrième livre d’Ascanio Celestini traduit en français. Anthropologue de formation, auteur-phare du ‘théâtre-récit’, il s’affirme désormais comme un écrivain majeur. Mieux encore, il redonne sens et vigueur en Italie à l’engagement de l’intellectuel, comme avant lui Dario Fo e Pier Paolo Pasolini.

220_____Brebis_59.jpgAvec ‘La Brebis galeuse’, Ascanio Celestini entreprend de revisiter le mythe des «fabuleuses» années 1960. À cette époque, l’Italie de l’après-guerre reprend voix parmi les moyennes puissances d’Europe occidentale. Dès lors, ici comme ailleurs, il s’agit de changer des citoyens critiques en autant de consommateurs dociles.

Un mythe s’installe, celui d’un progrès social appuyé sur un capitalisme qui revêt les atours d’une œuvre de bienfaisance. Désormais, la vie ne sera plus qu’une course au bien-être appuyée sur l’image. Le supermarché tiendra lieu d’agora, sinon d’église. Et les laissés pour compte pourront toujours rêver.

Sur ce mythe, Ascanio Celestini promène le regard d’un inadapté chronique.

Nicola est le petit-fils d’une paysanne qui s’est pareillement tenue à l’écart du fascisme, de la guerre et de l »après-guerre, et des «années dorées» du «miracle économique». Enfermé à l’asile, traité aux électrochocs, Nicola rêve des produits du supermarché, des revues pornographiques chinoises, des films de martiens et des chansons de plage. Les nouveaux standards de la société de masse n’auront jamais avec sa vie que des rapports fantasmatiques. Ce regard décalé et innocent, mais atrocement ravageur, n’est pas sans rappeler celui du bouffon médiéval, une tradition demeurée populaire en Italie jusqu’à nos jours, que Dario Fo a réactualisée.

9788806184018g.jpgAgé de trente-huit ans, Ascanio Celestini a franchi depuis quelques années les frontières du théâtre-récit. Dans ce genre propre à la péninsule, l’acteur n’incarne plus un personnage, mais prend le rôle du narrateur.

Les histoires qu’il raconte, il les écrit lui-même, seul ou en collaboration. Publiées, elles se changent en nouvelles, quelquefois en romans, qui gardent toute la saveur du matériau oral qui leur a donné vie.

Chez Ascanio Celestini, la dimension civique, omniprésente dans ce courant théâtral, s’est doublée d’un regard politique.

Après avoir traité du révisionnisme dans “Radio clandestine”, de l’histoire ouvrière dans “Fabbrica”, il a récemment accompagné le combat des précaires d’un call-center de la banlieue de Rome.

De cette expérience sont nés un documentaire et un roman.

Il anime aujourd’hui une chronique hebdomadaire sur la RAI 3 et prépare l’adaptation cinématographique de “La Brebis galeuse”.

Olivier Favier

Du même auteur: “Radio clandestine”, Espaces 34, Montpellier, 2009. Quelques unes de ses chroniques ont été traduites sur une revue en ligne www.revuedesressources.org

Pour en savoir plus : Ascanio Celestini (né à Rome en 1972) s’est affirmé en une dizaine d’années comme une figure majeure du théâtre-récit, un courant spécifique à l’Italie, dans la lignée de Dario Fo. La dramaturgie classique y cède le pas à l’art du conteur, et le narrateur reprend le rôle de l’intellectuel, c’est-à-dire qu’il devient la mauvaise conscience de son temps. Au-delà de ce courant, les ouvrages d’Ascanio Celestini, publiés depuis quelques années par les prestigieuses éditions Einaudi, ont acquis une véritable dimension romanesque. Largement saluée pour son engagement civil, dans une Italie frappée par le révisionnisme et d’inquiétantes dérives gouvernementales, cette œuvre s’affirme comme une des plus marquantes de ses dix dernières années. D’un point de vue littéraire et politique, on n’avait rien vu de tel ici depuis Pasolini…

Article précédentLe « théâtre-récit », un genre théâtral très italien.
Article suivantMusée du Louvre : La collection Motais de Narbonne et Toussaint Dubreuil