A Paris, le Petit Palais présente : Eloge du négatif. Les débuts de la photographie sur papier en Italie, 1846-1862.

Après s’être invité au Musée de la Vie romantique pour l’exposition «Souvenirs d’Italie», le Petit Palais poursuit son histoire d’amour avec la péninsule, dans ses murs cette fois. «Eloge du Négatif, les Débuts de la Photographie sur Papier en Italie (1846- 1862 )» : une exposition qu’il ne faut manquer sous aucun prétexte.

10-2_copie.jpgGustave de Beaucorps.
Rome, San Pietro in Vincoli©collection privée

Elle s’adresse aux amateurs soucieux d’esthétique, aux amoureux de beaux tirages, aux férus des techniques de la reproduction aussi bien qu’à ceux qui n’ont jamais bien compris les subtilités des appellations qui figurent sur les cartels (papier salé, papier albuminé, négatif, positif…), autant de mystères qui semblent insondables. Les questions redoublées posées par les journalistes à Anne Cartier-Bresson (Conservatrice générale en charge de l’Atelier de Restauration et de Conservation des Photographies de la Ville de Paris) lors de la visite de presse en sont une preuve irréfutable !

Au début de l’exposition, un dispositif de caissons lumineux installé par le photographe Martin Becka explique de façon très didactique les différentes étapes qui conduisent à la naissance d’une photographie. Un film le montre photographiant à la chambre un village dans les conditions exactes où il a été immortalisé au XIXe siècle. Il compare ensuite les deux tirages.

Etonnant!

Ces illustrations très claires permettent de comprendre le processus complexe et contraignant de la prise de vue à ses débuts. Les artistes étaient obligés de «se coltiner» un matériel lourd et complexe, le temps de pose était très long, prendre une photo n’était pas une mince affaire et résultait d’une réflexion artistique autant que technique, chacun étant à la poursuite de la rare «belle épreuve».

La majorité des photographes, élite cultivée de peintres, dessinateurs ou architectes, a un regard d’artiste et est suffisamment fortunée pour s’adonner à cette passion qui revient cher (il y a beaucoup de déchets). Chacun fait «sa petite cuisine» (à base de sel, d’albumine voire de petit-lait…), concocte ses propres recettes et bien avant Photoshop ne se prive pas de retoucher les plaques de verre à la gouache, au crayon, en appliquant des papiers découpés, des caches de couleur, combinant divers procédés de développement, jouant sur les contrastes et la tonalité.

Le visiteur est accueilli par le négatif sur papier masqué de rouge et les deux positifs aux tonalités différentes d’Eugène Piot :

«Florence, la coupole de Santa Maria del Fiore». Un tirage d’un même négatif n’étant jamais égal à un autre.

Le négatif sert de matrice au tirage du positif, c’est-à-dire de la photographie. L’échelle des valeurs est inversée en densité mais aussi dans l’espace. Comme pour la gravure, le travail s’opère à l’envers lors du développement. Le tirage est obtenu par contact du négatif avec la feuille sensibilisée. L’image apparaît alors en positif, les valeurs sont celles perçues par l’œil.

La présentation du daguerréotype par Arago le 7 Janvier 1839, lors d’une séance de l’Académie des sciences de Paris, suscite de nombreuses bagarres pour l’attribution de la primauté de la découverte, notamment entre l’Angleterre et la France, les deux grandes nations industrielles. La «course à l’invention» agite l’Europe et de nombreux procédés voient le jour.

Le daguerréotype, photographie sur plaque de cuivre est un exemplaire unique. Il est opportun de le rappeler pour comprendre à quel point la découverte du négatif sur papier ou calotype (talbotype), qui permet la reproduction, a révolutionné les méthodes de travail des artistes de l’époque. William Henry Fox Talbot présente le 31 janvier 1839 son procédé de photographie sur papier devant la Royal Society de Londres.

L’ère de la reproductibilité a sonné.

En 1846, deux amis de Talbot, Georges Wilson Bridges et Calvert Richard Jones, vont être les promoteurs de cette technique en Italie où le tourisme, avec l’apparition du chemin de fer (en 1839), a pris de l’ampleur.

Les pensionnaires de la «Villa Médicis» collaborent avec les membres de «l’Ecole romaine de Photographie». Frédéric Flachéron, Alfred-Nicolas Normand, Eugène Constant, James Anderson, se réunissent au Caffè Greco, via dei Condotti, pour partager leurs secrets. Ils distribuent des conseils aux amateurs et vendent des épreuves aux voyageurs.

Pour eux, le rendu légèrement «flou» du calotype, qui pourrait passer pour un défaut, est particulièrement adapté à la poésie et à l’éclairage de la campagne italienne. Le grain du papier donne cet effet «sfumato» qu’ils recherchent.

Giacomo Caneva, peintre de perspectives, est la figure majeure de ce groupe de photographie primitive.

03_copie.jpgGiacomo Caneva
Rome, Temple de Vesta ©FratelliAllinari

La guerre est ouverte entre graveurs et photographes jusqu’à la naissance des imprimeries photographiques qui mettent sur le marché des albums-souvenirs destinés au plus grand nombre et remplacent les albums expérimentaux des débuts. Le glas a sonné pour les estampes et semblables lithographies. L’artisanat cède peu à peu la place au commerce. Le photographe devient un professionnel au métier rémunérateur.

Créée en 1852, la société Fratelli Alinari à Florence est la plus ancienne entreprise au monde dédiée à la photographie. A Rome, Giacchino Altobelli se lance également dans la mécanisation accrue des tirages.
Le parcours des salles permet d’admirer le travail de ces pionniers, héritiers des «vedutistes» et donc d’une vision idyllique du «paradis des arts».

L’exposition «Voir l’Italie et mourir» présentée au Musée d’Orsay l’an dernier décrivait bien l’importance du «Grand Tour» (à l’origine du terme tourisme) pour les aristocrates, les intellectuels, les artistes puis les bourgeois aisés, attirés par la «Terra santa» de la culture, de même que par le climat, la luminosité et la beauté de ce pays. Les photographes qui, selon Arago, font «de la peinture avec la lumière» sont bien évidemment séduits par la fulgurance des paysages ensoleillés et le climat chaud propices aux prises de vues. Ils reprennent les sujets de prédilection des dessinateurs et graveurs :

le paysage romantique

02_copie.jpgGiacomo Caneva.
La pinède de Castel Fusano©FratelliAllinari

les sites historiques

01_comp_copie.jpgGiacomo Caneva, Ludovico Tuminello.
Rome, arc de l’aqueduc de Claude©FratelliAllinari

les panoramas :

les vues de Venise d’Eugène Piot : «l’Italie monumentale – 1851», le «Panorama des toits de Florence» de Vero Veraci sortent des sentiers battus.

08_copie.jpgVero Veraci.
Le baptistère Saint-Jean©FratelliAllinari

L’inventaire des monuments antiques et des chefs-d’œuvre

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Alfred-Nicolas Normand.
Pompéi, chapiteau de la Maison du Faune©FratelliAllinari

09i_copie.jpgVero Veraci.
Persée tenant la tête de la Méduse de Benvenuto Cellini©FratelliAllinari

les couples négatif-positif mettent en évidence les retouches du négatif (ci-dessous, le ciel a été masqué à la gouache sur le négatif)

5a_comp_copie.jpg05b.Alphonse_Davanne_Paestum_temple_d_Hera_copie.jpgAlphonse Davanne.
Paestum, temple d’Héra©FratelliAllinari

Luigi Sacchi dresse un inventaire : «Vedute dei Monumenti e Costumi d’Italia», photos de voyages subjectives.

Le portrait :

le magnifique album de Victor Regnault ouvert à la page des Pifferari de Guillot-Saguez, exemplaire unique, est un des trésors admirables qui ne sera plus présenté avant longtemps.

Les portraits laissent toujours la part belle aux clichés, comme «Modèle en vêtement de pêcheur» de Giacomo Caneva vers 1852, mais ce sont les étrangers qui font découvrir aux autochtones les points les plus reculés de la nation en devenir: «40 vues photographiques par Edouard Delessert, Cagliari et Sassari, île de Sardaigne – 1854».

Et enfin, innovations : le documentaire et le reportage

06_copie.jpgJames Graham.
Vésuve, coulée de lave de 1858-1860©FratelliAllinari

Stefano Lecchi consacre le premier «reportage» à la chute de la république romaine ;
Gustave Le Gray, en compagnie d’Alexandre Dumas, suit Garibaldi et ses troupes et fixe les ruines de Palerme en 1860.

Bien qu’avec l’invention, en 1850, de la plaque de verre au collodion on obtienne une image sans grain et d’une grande précision, le papier salé conserve encore pour un temps des adeptes car jugé plus facile à transporter. Le Gray utilise d’ailleurs l’une ou l’autre technique en fonction du sujet à traiter.

Sur fond d’unité italienne, les avancées techniques de1860 à 1880 mettront fin peu à peu à l’usage du calotype, dépassé désormais.

Malgré les difficultés, les imperfections et les tâtonnements, ces artistes venus des quatre coins de l’Europe, ont mis au point le vocabulaire d’une découverte qui a révolutionné le XIXe siècle et n’a pas signé la mort de la peinture, comme le craignaient certains, mais créé un art qui, à son tour, a ouvert la voie au 7ème art.

Marie SOREL

Renseignements pratiques :

Musée du Petit Palais
Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Jusqu’au 2 mai
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Fermeture le lundi et les jours fériés
Plein tarif 6€, tarif réduit 4,50€, gratuit jusqu’à 13 ans

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