La Menzogna de Pippo Delbono – Théâtre du Rond-Point, Paris

Pippo DELBONO a envie de cogner sur tout ce qui bouge.

Cela tombe bien, nous aussi!

Le metteur en scène traverse la salle encore éclairée, apostrophe les spectateurs (deux ou trois « battute »), s’installe à sa table de travail au milieu du public, et lit ses notes à la lueur d’une petite lampe.

Nous sommes bien au théâtre, le spectacle peut commencer!


photo_1248067916362-1-0_w350.jpg

Des passerelles métalliques éclairées par un néon froid, une bouche sombre ouverte au fond de la scène, vers on ne sait quelles affres, et un vestiaire qui s’anime tandis qu’un chien aboie au loin dans la nuit.

Les ouvriers d’une usine viennent s’y habiller, s’y déshabiller, y manger un morceau, petits gestes mécaniques accomplis en silence et dans une excessive lenteur, chorégraphie lugubre et routinière, avant de s’engouffrer dans cet abîme béant qui figure notre perte. L’un d’eux enfile son beau costume, brandit un bouquet de fleurs et va s’allonger dans sa tombe.

Le ballet de la vie.

Le chien se tait.

Sept ouvriers meurent dans l’incendie de l’usine Thyssen -Krupp de Turin en 2007, le grand cirque médiatique de l’hypocrisie et du mensonge s’empare alors de la tragédie.

« …Je ne peux pas éprouver de douleur pour des personnes si éloignées de moi, seulement de la pitié… ».

Le spectacle de Pippo DELBONO, évocation cauchemardesque de ce drame, pose la question de la réalité de nos émotions dans un monde de violence et de faux-semblants.

L’écriture de Pippo DELBONO, bouddhiste éclairé, formé au théâtre oriental, à la danse, mêle la vidéo, le chant et la musique. Il excelle lorsqu’il laisse la place libre aux sentiments, à la tendresse et à la poésie.

redim_proportionnel_photo.jpg

Se succèdent alors les visions d’un homme qui semble hanté par la culpabilité : pas de douleur à la mort de son père, juste la peur de l’inconnu et surtout de sa propre mort.

Ce moment d’émotion passé, le coup de gueule de Pippo DELBONO à propos de ce fait divers sordide se transforme en diatribe politique et il a besoin de deux vidéos pour étayer son propos : le discours d’un prêtre, Alex Zanotelli, qui fustige la financiarisation de l’économie et un film promotionnel de l’entreprise Thyssen Krupp où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et souriant dans le meilleur des mondes.

Est-ce bien nécessaire de nous infliger pareils pensums interminables comme si nous n’avions pas compris que nous vivions dans un monde basé sur le profit ?

Pippo prend des photos des spectateurs, les éclaire avec une torche (le quart d’heure de célébrité de Warhol n’est pas loin), tandis que sur scène dans une ambiance à la « Portier de Nuit » se succèdent des rituels dont la filiation revendiquée à Pina Baush est très (trop) évidente.

Que veut-il mettre en lumière ?

Techniques mixtes appliquées à l’acte théatral, rien de bien révolutionnaire.

Puis la rage fait place au jeu et aux sentiments : cris, aboiements, rires déments, déchainement des visions, la folie est en marche.

Théâtre d’ombres où les contre-jours dessinent sur le cyclo des fantômes effrayants.

Le spectacle s’étire jusqu’à un entracte où Nelson, un fidèle, ex-clochard, essaye de fourguer une vieille » croûte » au public.

redim_proportionnel_photo2-2.jpg

Il est toujours difficile de dire à quelqu’un que l’on aime que l’on n’est pas d’accord avec ses idées, ou plutôt avec sa façon de les affirmer et de les jeter en pâture, pêle-mêle, en vrac.

Pippo avec son micro, ses invectives, son omniprésence paraît un peu narcissique dans son rôle de monsieur Loyal et son passage à l’acte, sa mise à nu à la fin du spectacle, alors qu’il ose affronter le regard du public, après avoir pendant un long moment baissé les yeux, semble un peu forcé.

Il a beau se défendre en jurant qu’il est très pudique et que la pire des hontes pour lui est de se livrer ainsi, on a du mal à croire à sa sincérité, sinon à une exacerbation de l’ego dans un acte expiatoire (relent de catholicisme ?).

Il ne faudrait pas non plus qu’il exhibe ses pensionnaires (Bobo, Nelson, Gian Luca) comme des phénomènes de foire, bien que l’on sache très bien qu’au fond ce n’est pas son intention. Ils sont muets alors que lui seul s’exprime. Cet acharnement à faire entendre sa vérité est contre-productif. Un peu de modestie et de recul sur sa propre expérience rendraient le propos plus compréhensible et plus pertinent.

On retiendra tout de même de ce spectacle les éclairs de génie des tableaux et séquences dont la fulgurance et l’esthétisme inspiré laissent souvent pantois, (telles les images d’apocalypse sublimées par la musique de Wagner et de Stravinsky) et on attend le prochain spectacle parce qu’on espère que si Pippo lave encore ses péchés sur scène, il le fera avec plus de distance brechtienne.

Marie Sorel


avec Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Raffaella Banchelli, Bobò , Julia Morawietz, Pippo Delbono, Lucia della Ferrera, Ilaria Distante, Claudio Gasparotto, Gustavo Giacosa, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Mr. Puma, Pepe Robledo, Antonella de Sarno, Grazia Spinella

Informations pratiques :

Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris (M° Champs-Elysées Clemenceau)
Du 20 janvier au 6 février à 20h30
Dimanche, 15h30 – relâche les lundis et le 24 janvier
POUR EN SAVOIR PLUS, CONSULTEZ LE SITE DU THEATRE DU ROND-POINT

Article précédentLa Fête du Livre et des Cultures italiennes à Paris – 3e édition
Article suivantRencontre avec l’écrivain italien Luigi Guarnieri autour de son dernier roman « Les Sentiers du Ciel »