La Péninsule du Salento, un abécédaire de voyage.

Aux confins sud des Pouilles, le talon de la botte italienne, entre Mer Adriatique et Mer Ionienne, le Salento, une terre d’histoire, de traditions et culture, un art de vivre. D’Otranto à Santa Maria di Leuca, déambulations entre le Moyen Age, le baroque et la côte. A un peu plus de deux heures de vol de Paris, un itinéraire illustré de photos inédites avec carnet d’adresses gourmandes. Reportage et conseils de Jean-Claude Renard. Andiamo!

un abcédaire de voyage

Position éminemment stratégique s’il en est. Sans hasard sans doute. OTRANTO trouve ses origines dans les temps reculés. D’abord messapienne, puis grecque et enfin romaine. Centre important pendant la période byzantine et successivement sous les Normands, les Angevins et les Aragonais, jusqu’à la fin du XVe siècle, au moment de la prise et du sac de la cité par les Turcs. Soit un condensé de l’histoire de l’Italie du Sud, dont on perçoit ici et là les stigmates.

 

Surplombant la mer, la cité s’est blottie à l’ombre de son château aragonais (entrée 3€), construit sous Ferdinand d’Aragon, sur des fondations érigées par Frédéric II. Un château de forme pentagonale, possédant encore une superbe cour intérieure, imposant ses murs bastionnés au-dessus de la vieille ville dispersant ses ruelles étroites et tortueuses, chic et ripolinées. A l’intérieur de ce dédale de pierres, aux maisons à deux ou trois étages, Otranto décline à l’envi son passé.

A commencer par la petite église de San Pietro, en haut de la piazza del Popolo (ouverte l’été seulement, sinon, s’adresser à la cathédrale), auréolée de fresques byzantines vives et dynamiques, magnifiques, entre une représentation du Lavement des pieds, l’Ultima Cena et une Vierge à l’enfant.

Eglise de San Pietro à Otranto, fresque bizantine, Lavement des pieds. Photo Stéphane Horel

A suivre par la cathédrale romane du XIIe siècle, célèbre pour son dallage en mosaïque, exécuté par Pantaleone (moine de l’abbaye de San Nicola di Casole, non loin d’Otranto, mais dont il ne reste aujourd’hui que des ruines). Sous un plafond à caissons, époustouflante, cette mosaïque pavant la cathédrale multiplie les motifs religieux, bibliques, animaliers, chevaleresques et les signes du zodiaque, des bribes de l’existence ordinaire du Salentin au XIIe siècle. Adam et Eve, la Tour de Babel, le roi Artur, Abel et Caïn, la légende de Jonas rejeté par la baleine, l’arche de Noé, le roi Salomon, ou encore un probable autoportrait de l’auteur. Au visiteur de trouver dans ce foisonnement un petit rongeur aux pattes bottées!

Détail de la mosaïque pavant le Duomo d'Otranto

Au fond à droite de la chapelle principale, des armoires à vitrines additionnent crânes et ossements des victimes du sac orchestré par les Turcs en 1480. Décoration un tantinet macabre (mais tout de même sans équivalent avec les catacombes parisiennes !).

La crypte de la cathédrale vaut aussi le petit détour pour ses colonnes (pas moins de quarante deux !) et ses chapiteaux, au décor très sobre autour de ses fresques byzantines. A l’occasion, on y célèbre des mariages.

Otranto, pêcheur. Photo de Stéphane Horel

Prenant la route de Maglie (17 kilomètres sur une route en travaux, en attendant la mise en place d’une circulation à quatre voies), on gagne facilement GALATINA (une quinzaine de kilomètres de plus après Maglie et à vingt de Lecce, vingt-six de Gallipoli), affichant ses palais élégants, mais surtout s’enorgueillissant de l’un des plus beaux joyaux des Pouilles, l’église gothique de Santa Catarina d’Alessandria. Derrière une façade particulièrement épurée (un simple portail entouré de colonnettes, coiffé d’une rosace), c’est là un lieu élevé par des Franciscains au XIVe siècle, entièrement recouvert de fresques, menées sous l’égide d’une certaine Marie d’Enghien de Brienne, épouse d’un non moins certain Raimondello Orsini del Balzo. Des fresques illustrant des scènes de la vie de la Vierge, de sainte Catherine, de l’Ancien et du Nouveau testament. Foisonnement de personnages, de couleurs, parfois étonnamment modernes, aux scènes oscillant entre l’école de Giotto (on songe naturellement aux cinquante-trois fresques ornant la chapelle des Scrovegni, à Padoue) et le surréalisme. En sortant à droite, le superbe cloître renferme un petit musée diocésain.

Galatina, Eglise gotthique de Santa Catarina d'Alessandria

De Galatina, à GALATONE, il suffit de quelque 9 kilomètres pour gagner une imprévue petite cité abritant une série hallucinante d’églises et de palais, de façades romanes et baroques, ramassées sur une poignée d’hectomètres. Curieux paysage architectural planté dans un décor urbain mochement contemporain, hésitant entre les zones commerciale et industrielles, paumées entre les oliviers et les murets de pierres grises.

Nardo, détail du Duomo. Photo S. Horel.

A six kilomètres de là encore, chargée d’impressions d’abandon, (surtout en hiver), la petite ville de NARDO s’affiche comme un prolongement de Galatone. Floraison de façades ocres et blanches, tirant parfois sur le feu oranger, floraison de palais, d’hôtels particuliers, d’églises, floraison, floraison… Nardo est cette autre capitale baroque, en miniature. Un petit Lecce gavé de piazzetta, de loggias à arcades, de balcons, un toutim délabré flirtant nonchalamment avec une fière décadence.

Nardo, façade baroque. Photo Stéphane Horel

Ici, la cathédrale médiévale transformée en 1712, restaurée à la fin du XIXe siècle, des tours de garde du XVIe siècle ; là, une époustouflante place, la piazza Salendra, entre église et palais, bordée de balcons ajourés autour d’une colonne surmontée d’une flèche, encore plus féérique et suggestive la nuit tombée avec ses effets de lumière douce.

A tout juste onze kilomètres au nord, COPERTINO ne manque pas non plus de charme, ni d’églises, ni de palais et de petites places, telle que l’élégante piazza del Popolo, des merveilles de quiétude et de grâces, dispersées tout alentour de son château angevin (1530-1540), quadrilatère imposant cerné de douves, déclinant à l’intérieur une succession de salles grandioses, dépourvues de toutes décorations, de tout ornement, à l’exception de quelques fresques d’époque.

COPERTINO – étape gourmande

Trattoria Pizzeria Piazza del Popolo, Piazza del Popolo, 9. Tél. : 389 0989712. Ouvert toute l’année. Remarquablement placé dans la vieille ville, avec terrasse et jardin intérieur.

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Une cuisine du marché, au jour le jour (les herbes et le piment poussent dans le jardin), pour une cuisine de mamma faite minute, basée sur des produits locaux.

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Antipasto extraordinaire entre charcuteries, fromages et légumes, accompagnés d’olives cultivées par la maison ; plats de pâtes à la chicorée ou aux poissons, grillades au barbecue. La mère aux fourneaux (qui fait tout elle-même !), le fiston au service.

Les trois photos de l'

Un établissement extraordinaire, avec ses airs d’antan, sans payer de mine, sa déco modeste et sa cuisine de parfums, généreuse, voluptueuse, joliment enveloppante, maternelle. Excellent vino rosso della casa, produit également par la maison, comme la grappa et l’huile d’olive. 15 à 20 euros le repas.

De Copertino ou de Nardo, il ne reste plus beaucoup de route pour retomber sur une autre rive, la mer ionienne. Ça vaut le coup et le décor, ne serait-ce que pour plonger sur Santa Catarina et Santa Maria al Bagno.

Côte rocheuse, côte déserte, tapissée de quelques demeures (à l’évidence estivales), avant de mener sur GALLIPOLI (Tout comme sur LECCE, vous trouverez de nombreuses informations dans tous les guides et circuits de voyage; nous ne nous y attardons pas dans ce reportage).

D’OTRANTO A SANTA MARIA DI LEUCA

Au sud d’Otranto, passant par son Cap puis Porto Badisco, une route tortueuse longe une côte sauvage, jalonnée de petites forêts et de terres vertes habillées de pierres sèches, avant d’arriver à SANTA CESEREA DI TERME, fascinante station balnéaire thermale, réputée pour les vertus thérapeutiques de ses eaux, à l’atmosphère fin de siècle, plantée de pins et de figuiers de Barbarie,

Villa Sticchi (1885). Photo S Horel

traversée de bâtisses somptueuses et dominées par la villa Sticchi (1885), de style mauresque, surmontée d’une coupole. A deux jets de pierre sont indiquées les grottes préhistoriques della Zinzulusa, accessibles à pied ou en bateau, constituées de différentes salles, aux formes parfois fantaisistes.

De Santa Cesarea à Castro, encore fier de son château médiéval et de ses tours cassant l’horizon, une route côtière sinueuse, bordée de cactus, surplombe la mer.

A quelques sept kilomètres de Leuca, à hauteur de GAGLIANO DEL CAPO, toujours sur la même route (SP 358), un pont spectaculaire enjambe un bras de mer. Tout autour, des petites maisons de pierres sèches et un restaurant (l’Incontro) perché accessible en une poignée de marches.

Près de Gagliano del capo. Photo S. Horel

Ultime limbe de la péninsule pugliese, la baie de SANTA MARIA DI LEUCA pourrait constituer une fin d’étape idéale, illuminée par la basilique Pontificia di Santa Maria de Finibus Terrae. C’est, en effet, une impression de bout de terre qu’on ressent, entre la mer adriatique, et la mer ionienne, depuis le parvis dégagé de la basilique, accrochée à un promontoire, surplombant le port de plaisance, quelques centaines de mètres plus bas.

Santa Maria di Leuca. Photo S. Horel

Un parvis majestueux, tel un balcon sur la côte, agrémenté d’arches et d’une colonne, formant un ensemble architectural géométrique tout droit sorti d’un cadre de Giorgio De Chirico. A ses pieds, la petite cité décline ses riches villas, ses airs désuets, face à la plage, à l’instar de Santa Cesarea.

Reprenant au nord par les terres (à moins de poursuivre la côte ionienne en direction de Gallipoli), une succession de bourgs, au milieu de terres fertiles mais aussi de zones industrielles vulgaires, valent halte. Qui pour un château, qui pour une petite église, une basilique, qui pour un musée ou une place.

Parvis de la basilique Pontificia di Santa Maria de Finibus Terrae. Photo S. Horel

A Patù, pour son église San Giovanni Battista (Xe-XIe siècle) et son monument mégalithique, le Centopietre (cent pierres), aux origines incertaines, abritant encore des fragments de fresques byzantines. A Alessano, pour sa cathédrale romane, son (tout) petit musée de l’immigration, au sein de la mairie, et son musée international d’art contemporain (le MICMAC, Museo Internazionale Mariano d’Arte Contemporanea), rassemblant plus de 350 œuvres dédiées à la Madone, parmi lesquels Ernesto Treccani, Salvatore Fiume, Alessandro Nastasio et Luigi Guerricchio). A Presicce, pour sa Chiesa Madre di Sant’Andrea Apostolo (XVIIIe siècle). A Taurisano, pour l’église romaine de Santa Maria della Strada (XIIIe-XIVe siècle) et sa chapelle San Nicola (XVIIe siècle). A Ugento, centre agricole réputé, pour son château (XIVe siècle), en restauration, et sa cathédrale (XVIIIe siècle), au cœur d’une charmante place médiévale et d’un dédale de ruelles colorées, défraîchies, habillées de maisons basses (pour beaucoup en déshérence). A Specchia encore, pour son centre historique, rassemblant le Palazzo Risolo (XVIe siècle), le campanile et sa Chiesa Madre (XVe siècle), un ensemble harmonieux mis en valeur le soir par un éclairage ambré caressant les monuments. On y retrouve là toute la chaleur du Salento.

Jean-Claude Renard

Photos complémentaires dans le portfolio ci-dessous

Du même auteur à ces liens:

LES POUILLES, COLLECTION AUTOMNE-HIVER

LES POUILLES – LOCOROTONDO ET CISTERNINO – TERRE DES TRULLI

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CARNET D’ADRESSES

Otranto

L’Altro baffo, via Cenobio Basiliano, 23. Tél. : 0836 80 16 36.
Au cœur du centro storico, entre le château et la cathédrale, un établissement résolument gastronomique. Dégustation de poissons du jour, cru et cuit, en guise d’antipasto ; anchois marinés à la chicorée, amande et clémentine ; poulpe à l’étouffée, huile d’olive et romarin ; poulpe et seiche infusée à la laitue de mer ; carbonara d’oursins, crevettes et huile d’agrumes…
Comptez au moins 40 à 45 euros par personne pour un repas. Petit bémol, des plats un peu minimalistes, loin d’une cuisine de mamma.

Cala dei Normanni, lungomare Terra d’Otranto, 5. Tél. : 389 89 72 320 ou 320 6299620.
Une pizzeria/trattoria traditionnelle, idéalement placée, face à la mer. Pizza au feu de bois, entre 5 et 10 euros. Déclinaison de pâtes aux fruits de mer et friture de poissons.

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Lecce

Trattoria di Nonna Tetti, piazzetta Regina Maria, 28. Tél. : 0832 24 60 36.
A deux pas de la porte San Biagio, quasi en face de l’église San Matteo. Pur jus traditionnel et authentique. Pâtes au sanglier ou aux fruits de mer, plats de chicorée braisée et purée de fèves, fines frites maison. Un établissement largement sollicité par les locaux. 15 à 20 euros le repas en moyenne et service impeccable.

Gallipoli

Osteria del Vico, via Vico Mercato, 1. Tél. : 0833 266 186.
Entre le marché et la cathédrale, dans le centre historique, excellente trattoria, dans une ambiance familiale, principalement tournée vers le poisson. Pâtes aux fruits de mer, crevettes fraîches en carpaccio à l’huile de noisette, risotto de poissons. 12 à 18 euros par personne.

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Santa Maria di Leuca

Hôtel/restaurant Rizieri, Lungomare C. Colombo, 22. Tél. 0833 758007

Légèrement en retrait du front de mer, et ouvert toute l’année. Plats entre 6 et 12 euros pour une cuisine traditionnelle très correcte (antipasto de fromage, de charcuteries et de légumes, escalope au citron ou à la milanaise, carpaccio d’espadon, grillades et friture de poissons). Service à la fois désuet et charmant. Terrasse au soleil très agréable. Il n’est pas interdit de dire «bonjour» aux perroquets dans la salle qui vous répondent «Ciao !»

(Jean-Claude Renard)

Photos de article et du portfolio © Stéphane Horel et Jean-Claude Renard

(Reproduction réservée)
Publié le 28 février 2016 et mis à jour

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Jean-Claude Renard
Jean-Claude Renard, journaliste à Politis et auteur, amateur passionné de gastronomie, a notamment écrit : avec Michel Portos, "Michel Portos. Le Saint-James en 65 recettes", (Flammarion, 2011) ; avec Yves Camdeborde, "Simplement bistrot" (Michel Lafon, 2008) ; avec Emmanuelle Maisonneuve, "Mots de cuisine" (Buchet-Chastel, 2005) ; "La Grande Casserole" (Fayard, 2002). "Arrière-cuisine" est paru aux éditions de la Découverte en 2014. Il a également publié "Marcello" (Fayard, 2002), "Céline, les livres de la mère" (Buchet Chastel, 2004), "Italie. Histoire, société, culture" (La Découverte, 2012), avec Olivier Doubre et "Si je sors je me perds" (éditions L'Iconoclaste, janvier 2018). Nous avons appris avec grande tristesse le décès de Jean-Claude, survenu le 31 octobre 2022 (https://www.politis.fr/articles/2022/11/en-memoire-de-jean-claude-renard-journaliste-a-politis-44997)

1 COMMENTAIRE

  1. La Péninsule du Salento, un abécédaire de voyage.
    très bel article. Ces lieux méritent d’être connus, même si, sans voiture, c’est une « mission impossible.
    merci!

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