Genèse et nouvelle version de L’Autre Galilée de Cesare Capitani

Cesare Capitani est un acteur et un auteur poussé par le désir de la découverte. Dans son spectacle «L’Autre Galilée» – prolongé dans une nouvelle version du 13 JANVIER AU 12 MARS 2016, toujours au théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris (voir info pratiques et tarifs préférentiels en fin d’article) – il nous raconte une histoire dont il a eu connaissance, qu’il a reconstituée et adaptée pour le théâtre. Chaque mardi, le spectacle a lieu en italien.

Avant de vous raconter cette histoire, voici les lignes que Cesare Capitani a voulu nous adresser à la veille de la reprise de son spectacle, par amitié pour Altritaliani et les lecteurs de notre site:

Chers amis,

Je suis très heureux de pouvoir reprendre au Lucernaire les représentations de L’Autre Galilée.

En moi, l’intérêt et l’affection pour Galilée sont nés par hasard et surtout ont grandi de manière inattendue. Ce spectacle a connu plusieurs versions et même, entre la dernière, présentée à Paris en octobre et novembre 2015, et celle qui démarre ce soir, il y a de grands changements. En décembre je me suis accordé quelques jours de vacances à Pise et Florence (avec Padoue, ce sont les trois villes de Galilée) pour plonger dans la vie du grand savant. J’ai visité un lieu insolite: un laboratoire de l’Université de Pise où j’ai pu assister à des expériences créées par Galilée et pu voir ses instruments, ses inventions ! Magique ! Puis j’ai visité le musée Galiléen à Florence ; j’ai appris une multitude d’informations passionnantes sur le scientifique et sur l’homme (aspect qui dès l’origine m’intrigue davantage).

J’ai aussi acheté en Italie plusieurs livres pour approfondir ma connaissance de Galileo Galilei. J’y ai trouvé des phrases fantastiques que j’ai immédiatement intégrées au texte de mon spectacle. Par exemple: «Je veux écrire en langue vulgaire, la langue du peuple. Tout le monde doit pouvoir lire mes textes. La science doit être populaire» ou encore «Nous sommes comme des bouteilles. Il y en a de simples, dépouillées, qui contiennent de l’excellent vin et il y en a avec de belles étiquettes qui contiennent du vin médiocre. Pas d’étiquettes! Pas de toge de professeur!» Et aussi: «Les philosophes qui n’ont pas de vraies réponses à donner devraient dire «je ne sais pas», car une candide sincérité est toujours préférable à l’hypocrisie, au mensonge»…

Comme toujours, plus on connaît quelqu’un et mieux on le comprend. En connaissant Galilée un peu plus à chaque représentation, je finis par le trouver vraiment attachant et très, très sympathique ! J’espère que vous partagerez mon impression ! A presto, je vous attends!

Ciao
Cesare

*

Il y a quelques années, Cesare Capitani est tombé par hasard sur une lettre de Galilée qui a éveillé sa curiosité. Le fait que Galilée soit présenté comme un philosophe plus qu’un savant a suscité en lui le désir d’en savoir plus.

Galilée

A partir de ce moment, il s’est mis à étudier, à chercher, à enquêter pour comprendre qui était vraiment ce personnage: “un vieux scientifique” – selon ses propres mots – inventeur de quelque chose sur la gravité ou, au contraire, un philosophe, qui a payé de sa personne le courage d’exprimer librement sa pensée. Et un homme qui dès sa jeunesse, plein d’énergie et de curiosité (lui aussi), a cherché jusqu’à sa mort à pousser par tous les moyens possibles la connaissance au-delà des limites de son temps.

Après avoir classé Galilée parmi les personnages plutôt ennuyeux dont on se souvient juste parce qu’un professeur leur a consacré quelques heures de cours, Cesare Capitani découvre un tout autre monde. Il dit aussi avoir eu de la chance car parmi tout ce qu‘il a pu trouver sur Galilée, il a eu l’occasion de lire quelques-unes des lettres les plus brillantes et les plus poétiques du philosophe-scientifique, dans lesquelles il se défend des accusations portées à son encontre par ses contemporains.

Dans ces lettres, qui constituent le corps central du texte théâtral, Galilée utilise divers arguments pour essayer de convaincre ses adversaires tout comme ses éventuels défenseurs ou protecteurs, pas tant du bien-fondé de ses idées que du fait de pouvoir les exprimer librement. Anticipant l’esprit de Voltaire – je ne partage pas tes idées mais je donnerais ma vie pour que tu puisses les exprimer – Galilée demande à ses interlocuteurs d’être tout simplement écouté. En somme, ce n’est pas tant, et pas seulement, contre des attaques scientifiques de l’une ou l’autre de ses théories qu’il cherche à se défendre. C’est avant tout contre ceux qui voudraient que ces théories ne soient ni diffusées ni publiées du simple fait qu’elles présentent des idées nouvelles, inédites, concernant des croyances anciennes et enracinées, pour lesquelles doit suffire une explication compréhensible et simple donnée par les textes bibliques.

Cesare Capitani répétant sur les bords de Seine le texte de L’Autre Galilée. Photo Antoine Ploué.

En vérité, le danger pour les théologiens conservateurs qui s’acharnent contre lui vient du fait que Galilée écrive et publie ses théories en italien (et non en latin comme le veut l’usage pour les scientifiques de l’époque), en parle à l’université comme à la cour, en fasse des démonstrations publiques, partage ses hypothèses avec collègues et amis, en un mot qu’il fasse de la science en public sans demander d’autorisation ou de permission à personne.

C’est cet aspect de l’homme Galilée qui a retenu l’attention de Cesare Capitani. C’est ce Galilée qu’il présente au public : un jeune ambitieux, peu disposé à observer des règles qui ne lui conviennent pas, mais surtout un homme animé d’une énergie créatrice explosive et quasi incroyable vu le nombre de découvertes et d’inventions qu’il réussit à faire.

Beaucoup connaissent Galileo Galilei pour quelques phrases sur la Terre qui tourne ou quelques lois sur les propriétés de la gravité. Presque tout le monde connaît : «Et pourtant, elle tourne», phrase probablement apocryphe que Galilée aurait prononcée à l’issue du procès qui l’avait contraint à l’abjuration, s’excusant pour ainsi dire de ne pas avoir pu convaincre que la science existe en dépit de la Bible.

Presque tout le monde connaît l’image de Galilée, une lunette à la main, en train de parler devant un parterre de cardinaux, les bras tendus vers le ciel. Images qui nous parlent d’un temps où la science et la religion étaient considérées comme antagonistes, période sombre du point de vue de la liberté d’expression. Pourtant la Renaissance a permis à quelques cités italiennes comme Rome, Florence et Venise, de vivre l’époque la plus brillante et la plus intense en révolutions et en conquêtes.

Et toujours et encore... Photo d'Antoine Ploué.

Cesare Capitani a le mérite de s’être demandé pourquoi l’obscurantisme avait propagé le Moyen-âge dans la Renaissance. Il s’est lancé dans une recherche difficile, prenant comme fil conducteur l’aspect le plus humain et le plus incertain du personnage pour en donner sa vision, particulière et certes personnelle, mais importante pour comprendre une composante de Galilée qui sans doute a vraiment existé.

Ainsi il nous présente un Galilée inquiet, nerveux, harcelé par les problèmes d’argent, contraint par la mort de son père à soutenir une famille nombreuse, un peu envieux, un peu stratège, quasiment égoïste lorsqu’il s’agit de reconnaître ses enfants, pas très attentionné envers leur mère. Un homme avec bien des défauts, loin de l’image ampoulée et solennelle, souvent véhiculée et gardée en mémoire. Un homme si ambitieux qu’il préfère l’abjuration à la fidélité à ses théories.

Mais ce serait une erreur de ne voir que cet aspect de l’homme dans le Galilée que Cesare Capitani a voulu nous restituer.
Photo de Jessica Astier

En effet, au cours du spectacle, cet homme perd peu à peu son arrogance, son avidité, le côté va-t-en-guerre du jeune scientifique de génie, pour approfondir une réflexion qui va bien au-delà de la bataille dialectique avec ses adversaires. La défense de la liberté d’expression et de pensée devient petit à petit le centre du spectacle et accompagne le spectateur dans la lecture de quelques-unes des plus belles lettres attribuées à Galilée. Parmi elles, celle à Catherine de Lorraine. C’est avec ce texte que le spectacle cherche à trouver son épilogue en décrivant la tentative de mettre en accord les Saintes Ecritures et la science. Ce qui n’apporta à Galilée ni la protection ni la compréhension des puissants.

Dans la pièce sont évoquées quelques théories, comme l’argument astronomique de la Première sphère, dont la démonstration est un écueil pour nombre de ceux qui se sont aventurés dans la compréhension du système céleste. Au contraire Cesare Capitani réussit à la présenter avec facilité, grâce à une diction directe et à une gestuelle simple et efficace; de même quand il explique la rotation de Vénus autour du Soleil, le spectateur a la sensation de voir les planètes, de comprendre les mouvements des étoiles dans le ciel, de découvrir tout à la fois la personnalité de Galilée et une chose qui vaut la peine d’être dite, présentée, transmise bien que différente de ce que l’on pensait auparavant. Que ce désir ait un prix si élevé nous fait réfléchir sur la souffrance de celui qui ne peut s’exprimer librement.

Cesare Capitani, L’Autre Galilée. Photo de Jessica Astier

C’est donc un Galilée très humain et très fragile qui nous est présenté dans ce spectacle, un Galilée animé par l’espérance mais aussi par le désir de célébrité et de succès, mû par des intuitions de génie, mais motivé en même temps par des intérêts matériels. Il cherche à découvrir la nature des choses, leur raison d’être et leur processus, mais il veut tout autant que son génie et sa supériorité soient reconnus. Autant d’aspects difficiles à concilier avec l’image du sage, du vieux physicien écrivant page après page sur la dynamique des corps ou sur les oscillations des pendules. En somme, un Galilée presque plaisant et d’un abord facile, comparé à l’homme blanchi sous le harnais qui apparaît dans les illustrations que l’on en a, un obscur et volumineux traité de mathématiques à ses côtés.

Peu importe si la vérité est ailleurs, si Galilée a été un père affectueux et un compagnon fidèle, si la lunette a été brevetée par lui parce qu’il a été vraiment le premier à comprendre comment mettre en pratique l’optique dans la technique de construction des lentilles, si sa charge à Florence a été pour lui la reconnaissance la plus importante de sa carrière ou si l’épisode d’Arcetri fut l’une des périodes les plus fructueuses du point de vue des sciences modernes. Pour Cesare Capitani, l’homme est plus important. Ses passions et sa lutte pour la liberté. La lutte pour la possibilité d’être écouté et reconnu pour son courage.

Le courage justement. On doit reconnaître un certain courage à qui s’aventure en 2015 dans la lecture des textes galiléens sans véritable guide, sans bases scientifiques et avec l’intention de mettre comme thème central d’un texte la liberté d’expression. Une lecture non conformiste qui présente une personnalité en quelque sorte romantique, animée par une passion et une rage qui semblent plus celles d’un guerrier que d’un scientifique. Le courage – Cesare Capitani a le mérite de nous faire découvrir en Galilée une figure importante et complexe, de familiariser le public avec une époque et un thème qui, par leur difficulté et leur richesse, sont trop souvent expédiés sans que soit suffisamment approfondie la difficulté de conquêtes fondamentales telle celle de la liberté d’expression.

Béatrice Biagini

(traduit et adapté par Alain Fouliard et Jana Kornel)

Texte original en italien: http://www.altritaliani.net/spip.php?article2393

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L’Autre Galilée de et avec Cesare Capitani. Mise en scène Thierry Surace, musique Antonio Catafalmo, lumière Dorothée Lebrun, costume Vjollce Bega, décor et accessoire Ségolène Denis, photo Paolo Greco. Avec l’aimable participation de Claire Chazal.

RENSEIGNEMENTS PRATIQUES:

DATES:

Reprise exceptionnelle en raison du succès de la pièce:

du mercredi 13 Janvier au samedi 12 Mars à 18h30

A NOTER: Les représentations des mardis seront jouées en langue italienne.

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs
75006 Paris

Métro Notre-Dame des Champs

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