Passion Naples. La “Napoletanità”, un vocable unique pour un peuple unique.

La “Napoletanità”, une entrée présente dans tous les dictionnaires italiens, est ainsi définie: 1) la qualité, la condition, l’être et le “se sentir napolitain”; 2) l’ensemble des traditions, coutumes, qualités et comportements spirituels qui constituent le patrimoine historique de Naples et des Napolitains (Dizionario Treccani consultable gratuitement en ligne).

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Aucun autre pays ou ville au monde ne peut se vanter d’avoir fait naître un tel dérivé (même si on en forge à la pelle depuis quelque temps), la “romanité”, à l’instar de l’“hellénisme”, n’indiquant que la civilisation de la Rome et de la Grèce antiques. Naples, ville inclassable et inégalable, comme l’écrit l’Unesco en trois langues sur une plaque affichée dans le centre historique, a mérité qu’on lui forge un mot sur mesure.

Nombre de chercheurs, des anthropologues aux philosophes en passant par les sociologues, se sont penchés sur la question, intrigués par ces hommes et femmes à l’histoire tourmentée, qui croquent la vie à pleines dents, assis sur deux poudrières (le Vésuve et la Solfatare), ces gens qui exorcisent leurs souffrances en riant et en chantant, qui honorent la mort – toujours si proche – autant que la vie, qui font fi allègrement de toute tentative d’atteinte à leurs traditions millénaires. Naples demeure le seul bastion inexpugnable contre la “mondial-platitude”. Quand McDonald a voulu concurrencer les fast-foods napolitains du centre-ville (dits cibo di strada et qui existent depuis toujours), le roi de la malbouffe a eu bien du mal à s’implanter. Lorsque ses gros bras en col blanc ont osé afficher une publicité qui opposait son produit dégoulinant à la pizza, les pizzaiolos napolitains ont réagi au quart de tour: installés devant l’entrée du McDo près du port, ils ont proposé aux passants des pizzas gratuites au fumet irrésistible. Inutile de préciser que ce jour-là les ventes du “fabricant d’obèses” ont chuté jusqu’au ras des pâquerettes.

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Le Vatican voulait-il interdire les manifestations jugées païennes à l’occasion de la fête de la Madonna dell’Arco ou de Montevergine ? Bataille perdue d’avance! Souverains pontifes et prélats ont dû capituler devant l’échec cuisant de leurs bulles, anathèmes et autres menaces.

Et quoique les réseaux sociaux aient du succès, ce n’est certainement pas au dépens des contacts humains. Les Napolitains quittent encore leur écran pour se rendre visite, sortir en groupe, s’entre-aider, et non seulement par le biais des associations.

Les opulentes capitales du nord déplorent-elles un taux de suicides élevé? Pas Naples, où, en dépit des graves difficultés quotidiennes et de l’abandon de la part du gouvernement central, on continue de croire à la vie. La ville compte aussi le plus bas nombre de sans-abri, tout le contraire de Milan qui en détient le record, ceci malgré son PIB deux fois plus élevé (eh oui! c’est la règle italienne des “deux poids, deux mesures”). La recette? Le grand philosophe H.G. Gadamer la donna dès qu’il mit les pieds dans les ruelles des “Quartieri spagnoli” : «Jamais vu autant d’humanité!». Et il décréta aussitôt que Naples serait sa troisième patrie.

La napoletanità est donc un véritable sujet d’étude sociétal. D’après l’anthropologue Amalia Signorelli (Cultura popolare a Napoli e in Campania nel Novecento, éd. del Millennio, 2002), la napoletanità serait: «une innocence atavique et solaire : imagination créative et intelligence instinctive typiquement napolitaines, tendance à philosopher, débrouillardise, emphase du sentiment amoureux, attachement à la famille. Quant au côté obscur, pour un Napolitain, le méchant est plus fou que mauvais».

Oui, pourquoi pas, mais encore…

Que fait-on de cette envie de communiquer, même avec ceux qui ne comprennent pas, en accompagnant la parole d’une mimique incroyablement imaginative? Pour dire “non”, le hochement de tête est trop banal pour un Napolitain: il préfère passer le dos de la main, les doigts fermés, sous le menton en levant la tête. Cet extrait désopilant du film «Così parlò Bellavista» (titre français «Ainsi parla Bellavista»), donne une petite idée de la langue des signes version napolitaine.

Le grand Edouardo De Filippo expliquait cette gestuelle foisonnante par les nombreuses dominations étrangères avec lesquelles les Napolitains ont dû composer à travers les siècles : «Il fallait bien se faire comprendre sans apprendre chaque fois une nouvelle langue !» déclarait-il.

On parle beaucoup d’attachement à la famille, mais on oublie l’amour frôlant parfois la puérilité (je l’avoue, mea culpa) pour Naples et pour tout ce qui s’y rattache : une bonne moitié des chansons napolitaines, qui ont fait le tour du monde, sont un hymne à Naples ou racontent le déchirement des émigrants obligés de la quitter.

Ceci expliquant cela, on comprend mieux que si, depuis toujours, les Napolitains accueillent à bras ouverts tous les étrangers en les intégrant très vite dans leur quartier, voire dans leur famille, ils sont franchement réfractaires à l’adoption d’autres coutumes et spécialités. A Naples les rares restaurants étrangers sont réservés aux plus branchés qui, après avoir affiché leur “ouverture d’esprit”, retournent discrètement à la gastronomie locale. Si Naples est attirée par un produit étranger, elle s’en empare et le napolétanise, comme ce fut le cas du café, ou du babà qui, né en Pologne et importé par les Français, est devenu – dûment revu et corrigé – un incontournable de la pâtisserie locale. En revanche si le “produit” n’est pas considéré comme acceptable, le boycott est impitoyable. Après la résistance contre le McDo, un jeune restaurateur a entamé la guérilla contre le kebab en inventant le «Kepurp», du poulpe enroulé autour d’une broche.

C’est en quelque sorte cette forme d’“intégrisme”, sans mépris ni ostracisme, qui a contribué à ne pas “corrompre” la culture locale, en la rendant justement incomparable.

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L’ironie à tout bout de champ, voire l’autodérision est également le propre des Napolitains pour qui tout est prétexte à rire ou à faire rire. Alberto Sordi affirmait qu’il ne connaissait aucun Napolitain n’ayant pas été très drôle au moins une fois dans sa vie.

Ceci étant, toutes les émotions sont aiguisées et exaltées, de la surprise au chagrin, de la sympathie à l’antipathie, Naples fait pleurer ou pleurer de rire. C’est ce que l’on appelle théâtralité. Mettez un piano à la disposition des citoyens dans la gare centrale (lieu anonyme par excellence dans toutes les métropoles), et vous aurez cela: Cliquez ICI

Je terminerai par un petit dernier: la manie de se plaindre de Naples, tout en haïssant cordialement le premier qui s’avise à en faire autant.

Mais j’en oublie certainement…

Toujours est-il que toutes les explications du monde ne pourront jamais tomber dans le mille. La napoletanità est un “gène philosophique” qui s’est renforcé pendant trois mille ans d’une histoire, d’une géographie, d’un état d’esprit propres à cette terre qui ne ressemble à aucune autre.

Attention cependant : Napoletanità n’est pas napoletaneria. Quelle est la différence? La même qu’il y a entre un diamant et un bout de charbon! La gouaille vulgaire qui n’est pas théâtralité, l’usage d’un napolitain abâtardi avec un mauvais italien («napoletanese»), la fausse fierté de se dire napolitain sans s’impliquer moralement et physiquement dans la préservation des biens communs, se vanter d’une grandeur passée que l’on n’a même pas pris la peine de connaître… Les faux Napolitains existent tout comme les faux écologistes, les fausses ONG, les faux croyants…

Le but de cet article est justement d’aider le lecteur à reconnaître les vrais des faux.

Maria Franchini

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Pour conclure, quelques liens vidéo très sympathiques (malheureusement non sous-titrées en français) pour illustrer le thème de l’article et vous divertir:

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 Marcello Mastroianni e l’umanità dell’amata Napoli 

John Turturro, réalisateur du film musical Passione sur Naples

Lucio Dalla, un napoletano nato a Bologna e rinato a Napoli

Riccardo Muti al San Carlo grida il suo amore per Napoli e I napoletani
(le + intéressant à partir de la minute 3.00)

 Sofia Loren, Bud Spencer, etc… Italiano? No, Napoletano!

(article publié en 2019 et mis à jour)

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Maria Franchini
Maria Franchini aime se définir une femme du Sud. Née à Naples, elle y a vécu jusqu’à son arrivée en France (pour suivre son mari), où elle habite physiquement, car son cœur est toujours agrippé aux pieds du Vésuve bercé par le chant de la sirène, mère de Neapolis. Amoureuse inconditionnelle de sa terre natale et des chevaux, elle leur consacre ses pensées et ses écrits. Sans rapport apparent, le cheval incarne à la perfection l’âme napolitaine, si facile à dominer mais impossible à dompter, si amicale avec les bienveillants et si redoutable avec les malveillants. Naples et le cheval, victimes de leur beauté, attirent toutes les convoitises, mais ils résistent à toutes les blessures en restant libres même en esclavage. Naples et le cheval ont inspiré (et inspirent) les poètes et les artistes par milliers sans qu’aucun d’entre eux n’ait jamais pu en percer le secret. Nul être au monde n’aurait pu mieux que le cheval indompté être brodé sur le blason de cette ville/monde. Parmi ses publications: "Dictionnaire insolite de Naples (Ed Cosmopole, 2015), "Naples, insolite et secrète" (Ed Jonglez).

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