66ème Mostra de Venise

D’abord il y a Venise ! En allant à la « Mostra del Cinema » de Venise, on est sûr déjà du plaisir de retrouver cette ville unique et merveilleuse, avec ses dédales de ruelles, de ponts, sa lagune bordée de palais biscornus et superbes. Si le voyage commence par le vaporetto, il se poursuit par un tour du monde cinématographique dû à la sélection des films venus de tout le globe.

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Cette année, le globe était plus restreint, dominé par les Etats-Unis (7 films). Rien d’Afrique noire, peu d’Asie et d’Amérique Latine, même l’Europe était essentiellement représentée par la France (4 films) et l’Italie (4 films aussi). Aucune découverte réellement enthousiasmante, car, lorsqu’un film retenait l’attention, on lui trouvait toujours défauts et limites.

Le seul qui semblait parfait, à nos yeux, est Lola du prolixe cinéaste philippin Brillante Mendoza, présenté comme film surprise. N’ayant obtenu aucun Prix, il n’est même pas cité au palmarès. Dommage ! Dans la grouillante ville de Manille, une grand-mère allume un cierge dans un coin pourri, là où son petit-fils a été poignardé par un adolescent pour le vol de son portable. La caméra le suit dans ses démarches pour les obsèques et ne le lâche que pour suivre une autre grand-mère, celle de l’assassin, qui, elle, s’agite pour obtenir la libération du coupable et propose un deal à la famille de la victime. Le tout se passe sous une pluie diluvienne qui rend difficile tout déplacement – à pied, en bus, en bateau – et nous révèle, comme dans un documentaire, l’âpreté de la vie dans les quartiers pauvres de Manille. Ce film est notre coup de cœur !

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Par contre, le coup de cœur du Jury, présidé par le cinéaste Ang Lee, a été Lebanon, qui a obtenu le Lion d’or. Le premier film de l’Israélien Samuel Maoz, ancien soldat du Tsahal, montre l’invasion israélienne du Liban en 1982, en faisant tenir tout le film dans l’habitacle d’un tank. Tout se déroule soit à travers la lunette du viseur pour montrer l’extérieur, ou à l’intérieur d’un char d’assaut où se trouvent les très jeunes soldats et un prisonnier palestinien devenu monnaie d’échange. Le film, dont l’intention est de dénoncer les horreurs de la guerre, est cependant discutable sur le plan éthique.

Le Lion d’argent du meilleur réalisateur a été décerné à Shirin Neshat pour Women Without Men qui évoque le sort malheureux de cinq femmes iraniennes confrontées au machisme dans les années 50, au moment du coup d’ Etat orchestré par la CIA pour permettre au shah d’abattre le pouvoir communiste.

Le Prix spécial du Jury est allé à Soul Kitchen une comédie enjouée du germano-turc Fatih Akin sur les aventures d’un immigré grec qui transforme son restaurant à frites des faubourgs de Hambourg en lieu branché avec musique, assiettes pour gourmets et épices aphrodisiaques.

Pour les Prix d’interprétation c’est Colin Firth qui a eu la Coupe Volpi pour son rôle d’enseignant dans A Single Man du couturier américain Tom Ford et Ksenia Rappoport pour La doppia ora de l’italien Giuseppe Capotondi.

Le Prix du meilleur espoir a été attribué à Jasmine Trinca, actrice loin d’être une inconnue, pour son rôle dans Il Grande Sogno de Michele Placido.

Tout en se montrant unanime pour saluer le palmarès, la presse italienne semblait déçue par les maigres Prix pour ses films. Aucun n’était digne d’un Prix que ce soit Baaria où Guiseppe Tornatore évoque son enfance dans un village de Sicile dans un film populaire sympathique, sorte de « pagnolade » transalpine. Ou que ce soit Il Grande Sogno (Le Grand rêve) qui est plutôt un bien petit rêve de jeunes bourgeois qui supposaient transformer le monde en Mai 68 ! Michele Placido pourrait mieux faire (comme il est dit sur les bulletins scolaires !).

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Parmi les films français, Jacques Rivette a présenté 36 vues du Pic Saint Loup. Ce film – très bref (1 h 24) pour ce réalisateur qui nous avait habitué à des films de 4 heures ou plus (Out 1 en faisait douze !) – est axé sur un fantôme de petit cirque itinérant : pas d’animaux, juste un rideau, un chapiteau brinquebalant et quelques nez rouges ! Jacques Bonnafé et André Marcon nous livrent un minable numéro de clowns en intermèdes successifs, mais les personnages principaux sont Jane Birkin et Sergio Castellitto, voyageur de passage – ou ange qui passe – et ultime spectateur qui aidera cette femme à affronter son passé. Toute la thématique de Rivette – le spectacle qui absorbe la vie – est présente dans ce film improbable d’une sensibilité délicieuse.

Très apprécié de tous White Material où Claire Denis – en collaboration avec l’écrivain Marie NDiaye – revient en Afrique dans un pays indéfini. Au milieu d’une rébellion anticolonialiste, une femme (Isabelle Huppert, remarquable) tente de sauver sa plantation de café. La peur grandit dans une chaleur suintante, avec le danger de l’insensé d’enfants soldats. Claire Denis a toujours formidablement filmé la beauté des corps sauvages. Son cinéma est très physique pour révéler une atmosphère de fièvre, de tension, d’angoisse donnant une sensation de temps réel.

Persécution de Patrice Chéreau a divisé avec des réactions différentes. Certes, c’est un grand film, mais sans séduction et très inconfortable. Un homme (Romain Duris) travaille sur un chantier, alors que sa fragilité et ses contradictions le montre lui-même en chantier. Le film fourmille ainsi de métaphores (clefs perdues, etc…) et semble aller du côté de Dostoïevski quand le héros se confronte à son double et qu’il ne sait mener ( tel « L’Idiot ») aucune de ses relations ni d’amitié (Gilles Cohen), ni d’amour (Charlotte Gainsbourg). Persécution laisse une impression de malaise. Un malaise que l’on retrouve dans Lourdes de l’autrichienne Jessica Hausner où Sylvie Testud incarne une paralytique en fauteuil roulant. Cet univers de malades qui attendent un miracle est présenté de façon très réaliste, comme un documentaire, même si le film se fait insidieusement critique lorsque le personnage central – miraculé alors que toute foi est absente – se voit décerner le prix du meilleur pèlerin de l’année. Toute guérison dérange, car s’agit-il de l’âme ou du corps ?

X-20060801134720876.jpgClaude Miller et son fils Nathan ont présenté Je suis heureux que ma mère soit vivante, phrase énoncée par un adolescent à propos de sa mère biologique. Abandonné par elle alors qu’il était enfant, adopté par des parents bienveillants qu’il rejette, il n’aura de cesse de retrouver cette mère irresponsable, mais que sa relation oedipienne pare de qualités. Inspiré d’un fait réel et fort bien interprété – particulièrement par Sophie Cattini et Vincent Rottiers – ce film bouleversant a retenu l’attention dans la section « Giornate degli autori ».

Après une traversée du désert de plusieurs années, Werner Herzog revient avec deux films. Marco Muller a trouvé l’astuce de présenter le 2ème en film surprise pour ne pas inscrire en compétition deux réalisations du même auteur. Son nom ne figurait donc au catalogue que pour Bad Lieutenant : Port of Call New Orleans, un polar conventionnel où Nicolas Cage (assez insupportable) reprend le rôle qu’Abel Ferrara avait imaginé pour Harvey Keitel en 1992. My Son, My Son, What Have Ye Done ?, son 2ème film est beaucoup plus attractif, car totalement déjanté et sous influence de David Lynch qui en est le producteur. Difficile de trouver la trace du cinéma d’antan de Herzog (Fitzcarraldo, Aguirre,…) sinon dans les liens inconscients de sa passion pour la nature à travers la présence d’animaux insolites dans les deux films (alligators et iguanes pour le premier, flamants roses pris en otage dans le deuxième).

Attaquée de toutes parts, on parle toujours d’incertitude sur le maintien de l’existence de la Mostra de Venise, de la concurrence de Toronto plus commercial, de la nuisance locale de Rome en octobre, mais nous serons certains de son summum tant que Marco Muller restera le sélectionneur de la plus ancienne manifestation cinématographique du monde.

Caroline Boudet-Lefort

Photos :

Lebanon, de Samuel Maoz

Jane Birkin

Marco Muller

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