A Naples, San Gennaro a dit «ni» au pape François.

Les Napolitains, c’est connu, ont un faible pour la religion, notamment lorsqu’elle devient spectacle fastueux. C’est leur côté païen qui ressort, critiquable par certains mais non dépourvu de charme, car il dénote une qualité rare à notre époque de platitude ambiante: la continuité d’une culture profonde et trimillénaire.

Ainsi, les Napolitains sont descendus par milliers dans la rue pour applaudir ce pape argentin qui a su leur dire au revoir en napolitain, «’a Maronna v’accumpagna » (que la Vierge soit avec vous), une expression très suggestive à l’image de la toute la langue napolitaine, mais insipide en traduction française. Ils l’ont ovationné, lorsqu’il leur a expliqué qu’en Argentine les Italiens sont appelés «Tanos», terminaison de Napoli-tanos, la population la plus nombreuse dans son pays, et de Saint Gaëtan (Gae-tano), leur saint préféré d’importation parthénopéenne.

L’ovation est devenue délire quand, dans la cathédrale en réfection, couverte d’échafaudages, le pape a pris l’ampoule sacrée dans ses mains et que le sang de Saint Janvier s’est liquéfié – bien qu’à moitié!

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Le souverain pontife a expliqué ce «ni» par le dissentiment du saint-patron sur le comportement de certains tristes personnages qui sévissent à Naples. Oui, même ce pape, très sympathique ma foi, tout en félicitant les Napolitains pour leur grande et ancienne culture, pour leur langue si «douce», les a humiliés en tombant dans le piège des lieux communs lorsqu’il a voulu les inciter à ne pas accepter l’argent qui «spuzza» (pue), a-t-il répété plusieurs fois, en empruntant un vocable dialectal de sa région, le Piémont (ahi! il a réveillé de mauvais souvenirs).

Ben oui, en dehors des discours directement liés à sa mission, et aux quelques compliments adressés au public -«vous êtes un peuple joyeux…la vie à Naples est difficile mais elle n’est jamais triste», l’accent tombait toujours sur la pauvreté, le chômage des jeunes et la criminalité. La même rengaine répétée à l’envi par journalistes et journaleux, écrivains et scribouillards, historiens stipendiés ou mal informés, et politicards[[Plusieurs titres de la presse écrite, télévisée et radiophonique, ont annoncé la «visite du pape dans la ville de la camorra» (par exemple France-Inter aux infos de 10h00 dimanche 22 mars).]].

En entendant ces paroles, ma pensée a volé vers Massimo Troisi qui, en entendant le refrain habituel «les Napolitains ont la musique dans le sang», – la musique, la joie, du pareil au même non? -, répondait par ces mots: «E pe’ forza, ce ânno luvato tutt’ ’o sango, mô nce resta sulo ‘a museca» (Forcément! On nous a pompé tout le sang, maintenant il ne nous reste plus que la musique).

Comme si ces maux n’affligeaient que Naples, comme si au Sud de l’Italie ces plaies étaient endémiques et non dues à des virus inoculés par une politique à deux poids et deux mesures! Pourtant, «le» système profite bien de l’argent des associations criminelles…

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Alors, San Gennaro n’a pas voulu cautionner entièrement les dires du souverain pontife, car ce dernier n’a pas vraiment défendu ce peuple qui souffre depuis plus d’un siècle et demi, depuis l’annexion forcée du Royaume des Deux Siciles au Piémont; ceci dit, le patron adoré des Napolitains n’a pas souhaité non plus punir par son silence le représentant de Dieu sur terre, qu’il trouve au fond sincère et de bonne foi. Car il faut bien relever que le pape François a accepté de bon cœur, sans craindre on ne sait quelle entourloupe, la pizza que lui a tendue un pizzaiolo qui l’attendait, trépidant et trépignant, le long de la via Caracciolo, sous les yeux d’une police confiante à juste raison. Dans un autre pays, le pauvre artisan se serait fait massacrer ou écrouer sans crier gare. Mais à Naples, l’impossible devient possible, même qu’un pape passant en papamobile se saisisse au vol d’une pizza, offrande généreuse et de bon augure en remerciement de sa visite.

Ce geste n’a toutefois pas suffi à San Gennaro qui a fait lui aussi les choses à moitié, comme le pape.

Maria Franchini

De Paris

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Maria Franchini
Maria Franchini aime se définir une femme du Sud. Née à Naples, elle y a vécu jusqu’à son arrivée en France (pour suivre son mari), où elle habite physiquement, car son cœur est toujours agrippé aux pieds du Vésuve bercé par le chant de la sirène, mère de Neapolis. Amoureuse inconditionnelle de sa terre natale et des chevaux, elle leur consacre ses pensées et ses écrits. Sans rapport apparent, le cheval incarne à la perfection l’âme napolitaine, si facile à dominer mais impossible à dompter, si amicale avec les bienveillants et si redoutable avec les malveillants. Naples et le cheval, victimes de leur beauté, attirent toutes les convoitises, mais ils résistent à toutes les blessures en restant libres même en esclavage. Naples et le cheval ont inspiré (et inspirent) les poètes et les artistes par milliers sans qu’aucun d’entre eux n’ait jamais pu en percer le secret. Nul être au monde n’aurait pu mieux que le cheval indompté être brodé sur le blason de cette ville/monde. Parmi ses publications: "Dictionnaire insolite de Naples (Ed Cosmopole, 2015), "Naples, insolite et secrète" (Ed Jonglez).

1 COMMENTAIRE

  1. A Naples, San Gennaro a dit «ni» au pape François.
    cette phrase m’a choqué dans votre article:
    « ce peuple qui souffre depuis plus d’un siècle et demi, depuis l’annexion forcée du Royaume des Deux Siciles au Piémont »
    est-ce à dire qu’avant 1860 sous les dominations étrangères des Bourbons, Angevins, Aragonais, Normands etc le peuple napolitain ne souffrait pas, il n’était pas exploité et vilipendé?
    Est-ce à dire que l’unité italienne n’a apporté à Naples que des choses négatives ?
    cordialement
    Antonietta Parisi

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