Franck Venaille, un aventurier du verbe

Avec le poète français Franck Venaille auquel a été attribué ce printemps le Prix « Etonnants voyageurs » du Festival de Saint-Malo s’ouvre notre rubrique « Le goût des autres », qui se propose d’aller, avec légèreté, à la découverte et redécouverte d’auteurs, pas forcément italiens, de retrouver le plaisir des mots, de la poésie, ce langage universel, trop souvent oublié, qui dépasse les frontières.

Le prix Robert Ganzo distingue l’auteur d’un livre de poésie et d’expression française en prise avec le mouvement du monde, un aventurier du verbe, un arpenteur du grand large et de l’inconnu. Il a été décerné le 31 mai, lors du festival « Etonnants voyageurs » de Saint Malo à Franck Venaille qui succède ainsi à Abdellatif Laâbi. Le jury composé de Jacques Darras, Yvon le Men, Jean-Pierre Siméon, André Valter et bien d’autres poètes a donc couronné le dernier recueil de Franck Venaille intitulé « ça ». Né à Paris en 1936, il effectue dans son enfance un séjour en Belgique qui a déclenché un réel amour du pays flamand que l’on ressent particulièrement dans La descente de l’Escaut (prix Mallarmé 1996).

venaillegd.jpgL’Italie est aussi dans son œuvre : Trieste (1985) et un remarquable travail sur Umberto Saba en 1989. Il a participé à la grande aventure de la revue « Action poétique » avec Jacques Roubaud, Marie Etienne, Olivier Cadiot etc… Mais c’est la guerre qui ressurgit dans l’œuvre de Franck Venaille, que ce soit dans La Guerre d’Algérie (1978) ou Algeria (2004) ou même dans « ça ». Cela n’a jamais rien à voir avec les jérémiades d’un ancien combattant, c’est le récit heurté, balbutié ou crié de victoires dérisoires sur la maladie dans le combat quotidien. On applaudit le choix du Jury des « Etonnants voyageurs » car « ça » est un voyage qui nous entraîne d’étape en étape, avec une force qui rappelle La prose du transsibérien de Cendrars. On puise dans la lecture de celui qui s’est « égaré dans la banlieue de vivre » un exemple tonique et une admiration sans borne pour la transcendance de son écriture.

Je suis celui-ci, mal à l’aise de vie, je suis d’ici, du lieu d’où je dors

D’où j’accepte mes faiblesses d’homme mes à-peu-près d’âme aussi

Voilà ce qui me motive, me donne la force d’aller plus loin, là-bas, où ?

Je ne le sais mais il y aura des femmes des hommes de mon bord.


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Je me suis égaré dans la banlieue de vivre.

C’était un soir blafard comme je les aime assez

J’enseignais la solitude.

Donnant cours (magistraux !) à celles et à ceux que ce mot,

rien que lui, fait blémir.

Disons que j’écris afin que Gabriel Fauré mette de la musique sous mes

mots.

Je suis sans âge, pourquoi dès lors, ne pas unir les forces qui demeurent

en moi avec celles d’un musicien composant, désormais, pour le cosmos.

Je me suis trompé, il n’y a rien à vivre sur cette terre.

Autoportrait en homme qui crie

Pas assez crié dans ma vie. Pas assez hurlé ! Que cela se déchire, là-
dedans, en pleine poumonerie. Ce qu’il faut c’est bien regarder à l’intérieur de soi. Le cri vient vite dès que les images se font plus nettes. Las ! Pas assez. Pas assez crié à la mort. Hurlé oui. Mais pas assez. Je vous en conjure : criez pendant qu’il est temps encore. Après ce sera dans l’impossible. Pour le moment c’est calme. Les agités sont devenus gisants. Ils tiennent la nuit dans leurs mains. (…)


Les vagues de la lagune

J’avance vers davantage de lumière

Les barques désormais

Sont vides

Elles ont accosté pleines de rires et chansons

Qui ne sont pas pour moi

Qui ne sont pas pour nous

Qui avons notre propre répertoire à crêpe noir ou satin rouge

Mais c’est la vie ordinaire qui exige, comment dire ? autre chose, de moins !

de plus !

J’avance

Ce que j’entends c’est le fracas de rames

Mêlé aux cloches catholiquement triomphantes

Ô comme nous sommes civilisés !

Nous qui avons pourtant tout à apprendre des vagues et de la régularité avec la quelle elles viennent se heurter au quai

Il me faut maintenant passer le pont

Atteindre la ruelle où sèche le linge

Ce lieu où le linge sèche


Extraits de « Ça » – Franck Venaille – Mercure de France – 2009

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