Paolo Giordano. Il corpo umano: guerre en Afghanistan et “Full Metal Jacket” à l’italienne.

paologiordano.jpgPaolo Giordano est le jeune auteur qui, à 26 ans, avec “La Solitude des nombres premiers”, son premier roman, a raflé les plus grands prix littéraires italiens (dont le Premio Strega 2008), vendu deux millions d’exemplaires de ce livre en Italie – livre qui a été acheté dans 42 pays.

Après presque cinq ans, voici son dernier roman, “Il Corpo umano” (Mondadori).

En décembre 2010, l’auteur fait un voyage d’une dizaine de jours en Afghanistan, avec des troupes italiennes, pour un bref reportage sur cette expérience. C’est la rencontre avec le quotidien de ce groupe de jeunes militaires italiens qui lui a inspiré ce roman percutant, très bien construit et passionnant à lire.

Dès le début, on suit l’un de ces jeunes soldats qui s’apprête à partir et à quitter la maison familiale, heureux de sortir enfin du giron maternel, et sans la moindre idée de ce qui l’attend. Très vite, nous sommes en pleine action, au cœur d’une troupe d’hommes – et de quelques femmes – qui se retrouvent dans un camp en plein désert. Chacun essaie de se raccrocher à ce qu’il peut; ils rêvent de la femme qu’ils ont laissée en Italie, communiquent par Internet avec des inconnues, se droguent, se querellent, font la fête en mangeant une vache rôtie qui les rendra tous malades, victimes d’un staphylocoque doré – l’occasion, pour l’auteur, d’une description digne d’une anthologie.

Quelques personnages se détachent particulièrement: Antonio René, un beau garçon un peu cynique qui fait payer aux femmes mûres ses services, mais qui va peut-être devenir père, et qui hésite face à cette responsabilité inattendue; Alessandro Egitto, le médecin du groupe, qui a eu avec sa sœur aînée une relation évoquant un peu Les Enfants terribles de Cocteau, Roberto Ietri, presque encore adolescent, victime des quolibets des plus âgés…

Une opération de «nettoyage» d’un village confronte certains de ces hommes, pour la première fois, à la peur, et au jugement de leurs camarades.

La partie centrale du livre voit le groupe partir en expédition dans une vallée qui porte – ironie tragique – le nom de «vallée des roses». Une expédition mal conçue, mal organisée et qui s’achève en catastrophe. La fin du livre nous montre les choix que font les uns et les autres, et que nous laisserons au lecteur le plaisir de découvrir.

Paolo-Giordano1.jpg

Le talent de Paolo Giordano consiste, avec un style très efficace, sans fioritures mais sans sécheresse non plus, avec des dialogues qui sonnent toujours juste, à nous entraîner dans cette expérience humaine, avec une empathie profonde pour ses personnages. Ni moralisateur, ni cynique, il parvient à leur donner chair et vie, et aucun d’entre eux ne nous laisse indifférent.

Le titre indique à quel point le corps est ici important : corps qu’il faut entretenir, muscler encore et encore, soustraire à la peur, corps meurtris par les exercices de tir (le supplice d’une jeune femme soldat, Zampieri, une scène qui évoque le Stanley Kubrick de Full Metal Jacket) ou par les trajets dans des véhicules inconfortables, éruptions cutanées, infections, diarrhées, corps qui se souviennent d’avoir fait l’amour, dans une autre vie. Ou le corps à jamais marqué du jeune soldat sarde qu’Egitto va voir, à la fin du livre et qui incarne, à lui seul, toutes les séquelles des guerres.

Un livre sur la guerre, donc: comment elle change ces jeunes gens, comment elle les pousse à faire des choix, comment elle les rend responsables et adultes. Mais aussi la guerre que les hommes se livrent entre eux – les conflits sont quotidiens dans la troupe – ou dans le couple, ou en famille – comme dans l’histoire d’Egitto, dont le père est mort sans recevoir le pardon de sa fille.

Bref, un livre qui vous happe, qui ne tombe jamais dans les clichés du genre et qui confirme le grand talent de cet auteur.

Marguerite Pozzoli

(Ndr. Ce livre n’est pas encore disponible en français)

Le site de l’auteur propose notamment une video du reportage de Paolo Giordano en Afghanistan.

Article précédentL’Europa in Italia dietro le primarie.
Article suivantLa magistratocrazia e l’assassinato.
Marguerite Pozzoli
Marguerite Pozzoli est née en Italie. Agrégée de Lettres modernes, elle a traduit une centaine de titres. Depuis 1989, elle dirige la collection “Lettres italiennes” pour les éditions Actes Sud. Parmi les auteurs traduits : P. P. Pasolini, A. M. Ortese, Roberto Saviano, Maurizio Maggiani, Giorgio Pressburger, Stefano Benni, Luigi Guarnieri, Valerio Magrelli, Marta Morazzoni... Membre d’ATLF, elle a siégé à la commission Littératures étrangères du CNL. Elle anime régulièrement des ateliers de traduction, occasions rêvées de faire toucher du doigt les dilemmes du traducteur, et découvrir, in fine, que le texte met à mal toutes les théories préétablies.