Andrea Zanzotto, par son traducteur Philippe Di Meo

Le 18 octobre 2011 disparaissait le très grand poète italien contemporain Andrea Zanzotto, un auteur parmi les plus séduisants mais aussi les plus difficiles de ceux qui vinrent après Ungaretti et Montale. Une importante partie de son oeuvre est désormais disponible en français ou version bilingue. Avec la complicité de Philippe Di Meo, traducteur notamment de Phosphènes et Idiome (voir notices dans l’article), Altritaliani, à un an de sa mort, se souvient.

Présenter Andrea Zanzotto? C’est le poète le plus original de son siècle et même, selon toute une partie de la critique, depuis Leopardi.
Le faut-il encore, si plus d’une dizaine de titres sont désormais disponibles en France et généralement en version bilingue?

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Commençons par les dates, le poète de Vénétie est né à Pieve di Soligo, dans la marche trévisane, au pied des Préalpes le 10 octobre 1921 et décédé le 18 octobre 2011. Issu d’une famille antifasciste, une lignée de peintres et d’artisans, il subi une instabilité affective et économique évidente du fait des persécutions dont son père a été l’objet.
Plus tard, il participera à la résistance, ce dont témoignent des poèmes comme Vers le 25 avril ou le récit intitulé Faier [[ Cf. Andrea Zanzotto : Au-delà de la brûlante chaleur, nouvelles, Maurice Nadeau, 1997]]. Comme beaucoup d’Italiens de sa génération, sa langue maternelle aura été le dialecte. Il sera édité en 1951 avec Dietro il paesaggio, après avoir remporté le Prix Bagutta de l’inédit poétique décerné par un jury où siégeait tout le grand état-major de la poésie du temps: Eugenio Montale, Giuseppe Ungaretti, Salvatore Quasimodo, Vittorio Sereni, etc.

Dès Vocativo (1957), témoin de la disparition progressive des parlers locaux, Andrea Zanzotto se montre sensible à la transformation des langues et langages. Il en fera l’un des thèmes fondamentaux de son œuvre. Qui de IX ecloghe (1962) à La Beauté (1968) donnera à son style sa coloration propre. Clivant les langages poétiques de la tradition et de la tradition du nouveau, il parvient à les juxtaposer sur sa page dans l’ensemble récapitulatif constitué par sa trilogie: Le Galaté au bois (1978), Phosphènes (1983) et Idiome (1986), non sans s’être ouvert à la picturalité de la page dès Pâques (1973).

Sollicité par Fellini à la recherche d’un spécialiste pour les dialogues du Casanova, cette expérience lui permet d’enrichir davantage encore sa palette verbale. Un recueil résulte de cette expérience: La Veillée (1976). Désormais, son œuvre fait se rencontrer les trois grandes traditions poétiques italiennes: la dantesque, la pétrarquiste et la dialectale. Opération linguistique analogue à celle menée à bien par Carlo Emilio Gadda dans le champ de la prose italienne. En renouvellement perpétuel, il donnera également un recueil minimaliste, Météo (2001). Il poursuivra cette collaboration avec le grand cinéaste en signant une partie des dialogues de E la nave va et de La cité des femmes.

C’est aussi un critique original et fécond ainsi qu’en attestent ses Essais critiques.

Œuvres disponibles en français

Andrea Zanzotto : Le Galaté au bois, Arcane 17, 1986, (épuisé)
Andrea Zanzotto : La Beauté, Maurice Nadeau, 2000
Andrea Zanzotto : Météo, Maurice Nadeau,2002
Andrea Zanzotto : Du paysage à l’idiome, Unesco -Maurice Nadeau, 1994
Andrea Zanzotto : Vers, dans la paysage, Dumerchez, 1986
Andrea Zanzotto : La veillée, Comp’Act
Andrea Zanzotto : Au-delà de la brûlante chaleur, nouvelles, Maurice Nadeau, 1997
Andrea Zanzotto : Les Pâques, Nous, 1999
Andrea Zanzotto : Idiome, José Corti, 2006
Andrea Zanzotto : Phosphènes, José Corti, 2010
Andrea Zanzotto : Essais critiques, José Corti, 2006

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Comme on se retrouve avec-du-sang-de-nez

Comme on se retrouve avec du sang-de-nez,
sang gnome ou bambin ou babouin,
sans apparemment
– sang non pertinent –
cause aucune.
Une goutte qui pourrait être mucus
mais qui est au contraire rouge
sur la table ou sur le mouchoir,
c’est à cela que ressemble maintenant
le fait de me retrouver encore
à l’improviste face à
ces lignes
que je ne devrais désormais plus écrire
et, qui, au contraire, et sait-on/ depuis quelles rares narines/
jaillit cette négligeable épistaxis
celle qui se fait laque sur la table,/
un rouge que je ne peux refuser,
rouge de cellules n’appartenant
déjà plus à personne,
rouge innocente épistaxis
« qui passera aussitôt », et d’ailleurs,
(« c’est comme si elle était déjà passée,
certes sans besoin de tampons
ou de lumières, ou de ténèbres
ou d’effets spéciaux »)

Andrea Zanzotto, Idiome, traduit de l’italien par Philippe Di Meo, José Corti, 2006

°

Come ci si trova col sangue-di-naso

Come ci si trova col sangue-di-naso
sangue gnomo o bambino o babbuino
senza apparentemente
– sangue non pertienente –
alcuna causa.
Una goccia che potrebbe essere muco
ma invece è rossa
sul tavolo o sul fazzoletto
ecco a che somiglia ora
trovarmi ancora
improvvisamente davanti
alle linee
che ormai non dovrei più scrivere
e invece chi sa/ da che rare nari/
sbuca questa epistassi trascurabile
questa che si fa lacca sulla tavola/
un rosso che non posso rifiutare
rosso di cellule già non pim ad
alcuno appartenenti
rosso epistassi inocente
« che passerà subito », anzi
« che è già passata, sotto il sempre »
(« è come se fosse già passata
senza necessità, certo, di tamponi
o luci o tenebre
o effetti speciali »)

Andrea Zanzotto, Idioma, Mondadori, 1986

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Notices sur Phosphènes et Idiome

Andrea Zanzotto
Phosphènes, bilingue,
Traduit de l’italien et du dialecte haut-trévisan (Vénétie)
et présenté par Philippe Di Meo,
José Corti (2010)
157 p. ; 16 Euros

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Si Galaté au Bois, premier volet de la trilogie d’Andrea Zanzotto, prenait pour thème un sud matérialisé par les bois sombres et feuillus du Montello, semés de riches traces historiques, Phosphènes, le second pan du dessein trinitaire, campe, pour sa part, un nord peu ou pas historicisé, fortement minéralisé, inclinant à un blanc enneigé, givré ou glacé. Dans cet univers comme surexposé, de réfractions en diffractions, la lumière est au surcroît. Une foule de scintillements se propage de place en place, la parole s’émiette en une multitude de bribes tantôt abstraites tantôt concrètes où les effets de vérité et les épiphanies – Eurosie qui protège de la grêle, Lucia porteuse de clarté au plus sombre de l’hiver – se bousculent. Ce monde transi, et congelé se révèle toutefois réversible car, invisibles, des lacs peuvent se former sous les glaciers les plus hostiles, la lumière ricocher sur les surfaces blêmes. Un jeu d’oppositions contradictoires, mimant d’une certaine façon le silence et le cri, se fraye alors la voie. Le couple conflictuel et finalement complice du carbone et de la silice, à l’occasion susceptible de se changer en silicium, opère. Une recomposition des minuscules signes éblouis, aveuglés explosé alors en une pulvérulence de phosphènes proches et lointains, intérieurs et extérieurs, impersonnels ou privés. Des gisements épars de souvenirs fossilisés ou enfouis réaffleurent, à mi-chemin du sens et du non-sense, sur une page virginale mimant tous les jeux du recommencement. La, le moi et le monde se superposent sans se confondre pour parler ensemble et l’un de l’autre, l’un à travers l’autre, comme dans la transparence d’un prisme cristallin faceté. Un miracle synesthésique et anagrammatique devient alors tangible, la conquête d’une apaisante lumière dorée, précédant d’une temporalité au futur antérieur devient finalement perceptible.

Andrea Zanzotto
Idiome, trilingue,
traduit de l’italien et du dialecte haut-trévisan par Philippe Di Meo,
José Corti éditeur (2006), 217 p. ; 15 Euros

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Dernier volet de la trilogie d’Andrea Zanzotto, Idiome entend rendre compte du mouvement destructeur et généalogique du langage à travers le chas, ou prisme, du bourg natal du poète suffisamment anonyme pour représenter tout lieu. C’est aussi le moment social de son œuvre riche en silhouettes, profils excentriques et autres décalcomanies subtiles, souvent dévolues au dialecte. Le poète restitue d’un côté l’immanquable mouvement d’usure des langues et langages, d’erreurs grammaticales en usages privés, de déformations en corruptions diverses, de l’autre, de leur impétueuse germination entre idiomatismes, idioties et leur niveau moyen, l’idiome unanimement accepté. Cette conscience de la dynamique du langage, des « métabolismes erratiques du tout », appelle son apaisante suture. Pour ce faire, comme le François Villon de la Ballade des dames du temps jadis, le poète revisite les ubi sunt (« où sont ») pour nous donner sa section centrale: Aller coudre dans laquelle la
« biographie » d’un moi se révèle inextricablement distillée par la « biographie » d’une petite communauté. Andrea Zanzotto met en évidence la Zauberkraft, la force magique – celle du symbolique – évoquée par le philosophe Hegel. On assiste alors à la transformation du temps de la poésie en espace poétique nouveau, omnicompréhensif. Une réversibilité du faux (les poncifs) en vrai (l’intensité de l’expression) peut finalement opérer. Le poète vise une poésie totale, il inclut alors dans ses poèmes des dessins, sigles et autres icônes pour nous donner un recueil récapitulatif.

Philippe Di Meo

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HOMMAGE A ANDREA ZANZOTTO – INSTITUT CULTUREL ITALIEN DE PARIS
Jeudi 25 octobre de 15h à 19h
Vendredi 26 Octobre de 9h30 à 20h

Colloque « Hommage à Andrea Zanzotto »

L’Institut culturel italien organise en collaboration avec la Regione Veneto, avec l’Université de Lorraine-Nancy et l’Université de Paris IV et avec le soutien de la provincia di Treviso un colloque consacrée à l’un des plus grands poètes contemporains, Andrea Zanzotto, un an après sa disparition.

A travers des témoignages et des analyses de poètes telle que Patrizia Valduga, de traducteurs tel que Philippe di Meo et de historiens de la littérature italienne tel que Carlo Ossola, ce colloque dressera un portrait d’un univers lyrique qui ne cesse d’interroger la relation entre signifiant et signifié, les articulations entre langage et ontologie, paysage et beauté.

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